RAILANE

RAILANE

samedi 21 janvier 2012

Article du journaliste Mustapha ARZOUNE

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Couverture de l'ouvrage


Abdelkader Railane, ch’ti de naissance et Yssingelais d’adoption, signe ici son premier roman à la tonalité largement autobiographique. Il dirige depuis 2004 la Mission locale d’Yssingeaux, au sud de Saint-Etienne et ferraille au sein de la COPEC (Commission pour la promotion de l’égalité des chances et de la citoyenneté) en Haute-Loire, pour faire avancer quelques dossiers et thèmes qui lui tiennent à cœur. Ajoutons qu’il est un ancien champion de boxe et cela a son importance dans l’écriture de ce livre. Car Abdelréda, le héros d’En pleine face, va devoir chausser des gants de boxe pour tout simplement gagner le droit de rester en France. Tout un symbole.
Abdelréda, gamin de cité, doit se dépatouiller entre les injonctions identitaires, multiples et contradictoires, qui lui tombent dessus et qui l’emberlificotent dans un embrouillamini bien trop serré pour un ado de 14 ans. Il y a d’un côté les règles au sein de la famille ; le désir du père algérien de "rentrer" au pays ; la doxa des cités mélange de racisme, de sexisme, de machisme et de bêtise ; les tartufferies d’un imam bien évidemment djellabalisé, barbu et musqué ; les insupportables discriminations et humiliations subies (voir la rencontre parents d’élèves-professeurs ou le passage sur l’aide au retour). De l’autre, il y a le collège ; son entraîneur ; les copains de la salle de boxe ; le constat que "les vacances à Ouled Djemaa, c’est déprimant" ; son désir de France, sans oublier sa tendresse et son amour pour Marie. "Ce n’est pas simple de vivre dans une cité. Je dois dissimuler une partie de ma personnalité et ne montrer que celle qui convient à mon environnement. Tel un caméléon, je dois jongler avec mes différentes personnalités (…)". Mais cela aussi "n’est pas simple" : "les transitions entre le temps passé avec ma communauté ethnique et religieuse et celui partagé avec ma communauté sociale et sportive sont très difficiles. (…) Je dois faire preuve d’une profonde tolérance pour ne pas rejeter l’un ou l’autre de mes amis. Mais le vrai moi, où se situe-t-il ? (en fait, je ne sais pas, je suis dans la merde quoi !" avoue l’adolescent, incarnation sans doute de milliers d’autres aujourd’hui en France…
Abdelkader Railane n’écrit pas pour accuser. Il ne cache rien des travers des uns et des autres, des incompréhensions comme des exclusions mutuelles, mais il montre aussi l’effectivité du vivre ensemble et les ressorts du désir. Autant d’énergies qu’il conviendrait de ne pas épuiser, de ne pas gâcher.
Abdelréda va donc devoir boxer pour que lui et sa famille restent en France. Il sera soutenu par tous, y compris par son père qui ne rêvait plus pourtant que d’une chose : rentrer au pays avec femme et derniers nés où l’attend sa modeste maison, présence lointaine et fantomatique, symbole d’une vie de travail et de privations. Après les troubles identitaires des plus jeunes, Abdelkader Railane évoque le double sacrifice des parents, tiraillés, eux aussi, par une double fidélité : pour ceux qu’ils ont laissé au pays et pour ceux nés dans un autre pays.
"Mes parents ont réussi à s’installer dans un pays qu’ils ne connaissaient pas, avec des codes qu’ils ne maîtrisaient pas et une langue qui leur était inconnue. Non seulement, il s’y sont intégrés, mais ont élevé une famille de dix enfants, tous ont une activités, soit étudiante soit salariée. Je considère que l’hospitalité qui leur a été faite est justement payée de retour. Notre famille ne coûte pas à la France, elle rapporte. Le racisme que je subis est d’autant plus difficile à vivre quand on ne se sent redevable de rien."
Sans l’avoir voulu, une génération a légué à ses enfants et, à travers eux, à la France, la mission d’inventer une autre façon d’être ensemble et d’être au monde. Rude combat, qui se gagne au bout des poings mais aussi la main tendue.
Mustapha Harzoune
Source:magazine de la cité

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